
Qu’en sera-t-il dans le futur ? A l’issue de l’épreuve que
nous traversons, oserons-nous sortir de la « grotte » dans laquelle nous nous
sommes réfugiés, ou continuerons-nous à nous claquemurer dans nos foyers
aseptisés ? J’ai tendance à penser que le mouvement de repli sur soi
l’emporterait, et que notre état « sans contact » et « hors-sol » passerait de
transitoire à permanent. Dans ce cas, l’hospitalité disparaitra, puisqu’elle
sera associée aux risques de contamination, de germes et de maladies. Pourtant,
je garde espoir en notre faculté à retrouver la valeur et la joie du contact
qui favorise la contagion, mais aussi les défenses immunitaires, et la
fertilisation. Cela est vrai d’un point de vue physiologique comme dans les
dimensions intellectuelle et spirituelle. Espérons aussi que l’excès de
virtualité créera la nostalgie des rencontres physiques. Dans ce sens, l’un des
termes les plus utilisés par nos dirigeants scientifiques et politiques ces
dernières semaines laisse entrevoir cette possibilité. Il s’agit du mot «
humilité ». Face au virus et à l’inconnu, ils reconnaissent qu’ils ne sont ni
omniscients ni omnipotents. Ils nous mettent face à une réalité que nous avons
tendance à éluder : notre mortalité. En écho à ces aveux, tonne l’ire
d’apprentis prophètes qui, eux, ont réponse à tout. Ils affirment ainsi que
l’épidémie est, selon leur sensibilité, une humiliation infligée par Dieu le
Père, ou la revanche de Mère Nature. Dans les deux cas, le fléau punirait
l’humanité de ses excès. Ces interprètes en quête de rédemption désignent
évidemment des coupables : la Chine, la mondialisation, le changement
climatique, les puissances de l’argent... Cette recherche expéditive de boucs
émissaires prouve que malgré les nouvelles technologies, nos réactions ne sont
pas si éloignées de celles de nos aïeux au temps de la peste ou du choléra.
De mon côté, l’appel à l’humilité exprime au contraire une
chance que nous devons saisir. Il résonne telle une injonction à renouer avec
l’humus, c’est-à-dire la terre. Humains, nous en sommes les enfants
interdépendants, comme nous le rappelle les étymologies latine et hébraïque.
Dans cette langue, le mot pour dire « terre » (adama) partage aussi la même
racine que celui pour dire « homme » (ben adam). L’humilité nous rappelle donc
notre humanité, faite de fragilités et d’imperfections. Or, s’il est une valeur
essentielle pour les gens qui vivent de la terre, c’est bien l’hospitalité. Et cela
malgré les risques qu’elle peut engendrer. Gardons en mémoire que notre
civilisation a comme premier patriarche Abraham, un terrien dont la tente était
ouverte aux quatre points cardinaux. J’espère dès lors que la crise actuelle
nous permettra d’explorer notre humanité en cultivant le goût de l’hospitalité,
qui participe au sel de la vie.
Raphaël Gutmann
Raphaël Gutmann
(proposé par Michel Croc / Article publié dans ÉTUDES du 9
mai 2020)
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